Les heures s'étaient écoulées comme les myriades de gouttes de pluie frappant contre les fenêtres. L'humidité s'infiltrait dans les pièces, rendant les articulations grinçantes et les mouvements plus inhumains que jamais.

Je ne comprenais pas pourquoi. Pourquoi était-elle partie, me laissant en plan, stupide et plus seule que jamais ? Ce moment fatidique où je me croyais -m'espérais!- finie... Ne fut qu'une pierre à l'eau, un échec retentissant jusqu'au plus profond de mes circuits. Ces réactions... N'étaient qu'illogiques. Je ne pouvais comprendre sa matrice de raisonnement. S'était-elle lassée ? Lassée après m'avoir attaquée ? Lassée après m'avoir offert la paix ?
Cette incompréhension me poussait à me méfier d'autant plus des autres animatroniques que j'allais avoir à croiser. Agiront-ils tous pareils ? Sont-ils tous aussi dangereux qu'elle ? Ha, je ne me laisserais pas surprendre deux fois ! S'ils étaient destinés à m'attaquer, eh bien, j'attaquerais en premier.
L'amertume d'avoir été laissée à l'abandon une autre fois, ne serait-ce que par cette ennemie, me rongeait assez pour me renvoyer vers mes pulsions premières. Me venger et, avant tout, me défendre en attaquant la première, semblait la solution à tout mes problèmes. Ces instants d'attention et de crainte constante, rester toujours sur le qui-vive, prête à me battre pour sauver mes rouages !
N'était-ce pas, après tout, la pulsion première de toute chose, morte ou vivante, constituée de chair ou de plastique ? Quel que soit notre état, même le plus condamné des êtres fera de son mieux pour accomplir sa tâche première. Nul doute que je fonctionnerais même émiettée en mille parties.

J'étais une battante.
Et en tant que telle, je ne me laisserais pas abattre. Jamais.

Oui, me rassurais-je. Cela marchera ainsi. Il fallait, après tout, que je m'adapte et ceci sera ma façon de m'adapter.
Ces derniers jours, enfin, depuis mon réveil, on ne m'avait pas retrouvée dans la Kid's Cove. On aurait pu facilement me repérer sinon car les hurlements d'enfants et la musique continue couvraient le bruit de mon haut-parleur cassé. J'étais restée dans les ventilations et, étant devenue dangereuse depuis quelques semaines à cause de ma mâchoire claquant automatiquement à chaque fois qu'un enfant approchait un peu trop de ma tête, on ne vit pas le mal à s'occuper d'abord de trouver un autre atelier aux enfants avant de rechercher l'animatronique manquante. Cela me fit un peu de répit et me permit d'observer le fonctionnement de la pizzeria de loin. Lorsque je n'étais pas destinée à être arrachée pièces par pièces et remontée de la plus grotesque des manières, l'établissement ressemblait, de bien loin, à ce que j'en avais conçu avant le drame: des enfants, des cris de joies. Les animatroniques fonctionnaient en parfaite harmonie avec les petits hommes et cela ne faisait que me distancer un peu plus d'eux. Oui, tout le monde ici, les adultes, les enfants et mes semblables... Étaient de mèches. Ils étaient bien mes ennemis.
Evidemment, ce n'était pas agréable de comprendre que, sans moi, tout allait pour le mieux. Étais-je la seule à avoir été blessée, brisée ? A avoir subi la haine de ces écœurants morveux ?! Pourquoi !
Une telle injustice ne saurait être pardonnée. Moi, la blague ? Le puching ball ?! Quelle honte ! Comment osaient-ils coopérer avec ces atroces morceaux de chair grasse ? Ne savaient-ils pas quels monstres ils étaient ? La seule réponse possible est qu'ils l'étaient tout autant qu'eux.

J'étais bel et bien seule.
Et j'étais bel et bien en quête de vengeance.

Alors, lorsque la nuit tomba, que le nombre d'ennemis se fit moindre, je me décidais à choisir une cible. J'évitais les animatroniques, mon récent combat contre l'une d'entre elles m'ayant bien fait comprendre que je n'étais pas, pour l'instant, capable d'en mettre une à terre. De plus, et malgré les années me séparant de ma sortie de l'usine, j'étais presque innocente quant à la maîtrise du combat. Il me fallait pratiquer sur plus faible et plus faible... Je finis par le trouver.
Un humain ridicule et misérable et seul. Personne dans la pièce: mes semblables étaient déjà partis en ballade. Quittant le conduit, je grimpais au plafond comme je l'avais appris la dernière fois et rampais jusqu'à lui, m'apprêtant à me jeter sur le morceau de viande...

Dernier instant d'hésitation. A l'entendre crier, le son tel celui de ma voix brisée, je m'avance, cherchant à franchir le précipice me séparant de l'inévitable crime que je m'apprêtais à commettre. Au prochain geste, il n'y aurait plus de retour arrière. Cela allait contre ma programmation première, cela allait contre ce pourquoi j'étais fabriquée. Mais la cassure dans mes circuits me permettait d'assigner le mauvais rôle à qui je voulais. Il suffit de le voir comme un criminel pour me permettre, après tout, d'en devenir une.

- Oh mon Dieu...

Je lui avait laissé le temps de se relever, observant avec discernement chacun de ses mouvements, les étudiant avec plus de précision que jamais. Créature à l'affût, victime prochaine. Il ne prenait pas des mouvements vifs, il restait maître de lui-même. Ce n'était pas étonnant: après tout, je n'étais qu'un robot ! Pas de quoi effrayer qui que ce soit. J'étais le jouet familier du restaurant, le défouloir de ces gamins. Il m'amusait, ce petit pantin de chair, à imaginer pouvoir s'éloigner sans avoir d'ennuis.

- Tu es... Mangle n'est-ce pas ? c'est cruel... de savoir qu'ils te laissent dans cet état... ne t'inquiète pas, je ne te veux aucun mal. je ne faisait que passer... je ne t'embêterai pas plus longtemps. bonsoir...

J'aurais bien aimé pouvoir rire, mais le piaillement qui s'échappa alors de mes entrailles n'avait rien d'amusé. Je l'étais pourtant, car je me distrayais comme jamais.

- "▄███Tu n'as pas- compris la█ situation, ▄▄petite chose." Je me rapprochais de lui d'un seul coup, me trouvant dans son dos. L'une de mes pattes, l'arrière, je crois, difficile à savoir lorsqu'elles sont placées à ces endroits illogiques, se posa sur son épaule. "▄█Je█ vais█ te tuer." Déclarais-je, avant de lui laisser la chance de courir. Hors de question de gâcher le jeu même si, c'est vrai, il se serait laissé bien rapidement avoir. Heureusement pour lui, je n'étais pas fourbe. Quand on s'apprête à tuer quelqu'un, autant qu'il le sache. "Je vais bien▄▄▄▄▄▄▄ voir ce qu'il y a d'amusant à démonter quelque chose qui hurle !" Peut-être même comprendrais-je ces monstres...
En espérant qu'il eut la jugeote de courir, je le poursuivais, adaptant mon rythme pour garder entre nous une distance d'un mètre. Je n'allais pas arrêter le petit exercice si rapidement, il n'y en aurait aucun intérêt !